La symbolique des animaux dans la culture
humaine
Zhang Xinmu
Si
les animaux, qu’ils soient sauvages ou domestiques, nous accompagnent depuis
longtemps dans notre vie matérielle, ils nous « encadrent » encore beaucoup
plus dans notre univers imaginaire. Dans toutes les cultures, les animaux
constituent un système de signes plus ou moins conventionnels dont on se sert
dans la communication quotidienne et dans les procédés de signification. La
rhétorique est le premier domaine qui s’en empare pour former ses figures : «
rusé comme un renard », dit-on toujours pour désigner quelqu’un de rusé. La
littérature les a saisis pour construire tout un système symbolique qui, en
fait, transpose le monde humain dans le règne animal : « homo homini lupus »
pour une image d’instance immédiate, le Roman de Renart pour
une série d’images filées formant un monde symbolique parallèle à celui des
êtres humains. Il est sûrement intéressant d’inventorier ces animaux-signes,
d’en dégager la structure de signification et de voir comment ces signes
fonctionnent en système symbolique et s’investissent dans la littérature. Une
meilleure connaissance de ces procédés dont on se sert pour animer en secret
notre conscience et notre action, nous permettra de mieux appréhender la nature
de notre civilisation.
Les
animaux-signes et la rhétorique
L’histoire
humaine est marquée par un long processus de création des signes à partir des
animaux qui tiennent lieu de compagnons auxiliaires à l’homme. « Pour garantir
sa sécurité ou simplement pour survivre, l’homme des origines, comme tout
primate, était obligé de prêter à chaque instant la plus grande attention aux
signes que lui transmettaient par leur seule présence les êtres et les choses
qui l’entouraient » (Benoist : 8). D’abord, les animaux constituent le totem de
la plupart des peuples primitifs. Dans son Totem et tabou, Freud
nous résume ce qu’est un totem : « Les tribus australiennes se divisent en
groupes plus petits, clans, dont chacun porte le nom de son totem. Qu’est-ce
qu’un totem ? D’une façon générale, c’est un animal, comestible, inoffensif ou
dangereux et redouté… qui se trouve dans un rapport particulier avec le groupe.
Le totem est, en premier lieu, l’ancêtre du groupe, et en second lieu, son
esprit protecteur et son bienfaiteur… Ceux qui ont le même totem sont donc
soumis à l’obligation sacrée, dont la violation entraîne un châtiment
automatique, de ne pas tuer (ou détruire) leur totem »(Freud : 7). Des rites
cérémonials pour l’imitation des mouvements du totem, la transmission
héréditaire par le mode tant paternel que maternel, la coexistence des
individus de totems différents et l’exogamie constituent des particularités
essentielles du totem.
Dans
la civilisation de certaines minorités nationales en Chine, subsistent encore
des totems : la grenouille pour les Zhuang, le yack pour les Tibétains, le
tigre et le coq pour les Bai, le bœuf pour les Naxi, le loup chez les Mongols,
etc (HE Xingliang : chapter III). Et pour les Hans, les totems principaux sont
sans doute le dragon et le phénix. Les Yi ont construit le temple des douze
animaux où ils célèbrent régulièrement leurs totems par des danses divines des
douze dieux. Les Bai prennent le tigre pour leur ancêtre qui ne les
agresse pas, ils choisissent le jour du tigre pour partir en voyage ou rentrer
à la maison, dans l’espoir de trouver des bénédictions. Et pour les Naxi, selon la
Genèse du canon Dongba, le bœuf était un animal divin que leurs
ancêtres, sept frères et sept sœurs, ont mutilé et sacrifié : la tête au ciel,
la peau à la terre, la chair à l’argile, l’os aux pierres, la côte aux
montagnes, le sang aux cours d’eau, le poumon au soleil, le foie à la lune,
l’intestin aux routes, la queue aux arbres, et les poils aux herbes. Tandis que
les Kazakhs vénèrent le mouton comme leur dieu et distinguent la déesse brebis
du dieu bouc.
La
rhétorique est un domaine préféré où l’on investit les images des animaux pour
construire des procédés de communication. Dans les expressions chinoises telles
que « docile comme un chien », « tendre comme un lapin », « sale comme un porc
», « travailleur comme un bœuf », « nombreux comme des fourmis », « bavard
comme une pie », etc. constituent un répertoire sémiologique des
animaux. On emprunte une qualité des animaux pour identifier une qualité d’un
être humain. La docilité du chien, la douceur du lapin, la saleté du porc,
l’abnégation du bœuf, le grouillement des fourmis, le cri constant de la pie,
autant de qualités qu’on peut associer à celles de l’homme. Tandis que le
comportement ou l’organe des animaux peut aussi s’assimiler à l’acte humain : «
avoir peur comme un rat », « affamé comme un loup », « pénétrer dans
les cornes du bœuf » (têtu), « la bile de panthère » (téméraire), «
la queue de lapin » (courte), « les cuisses du tigre » (intouchable), etc.
Pourtant, certaines de ces expressions varient d’une langue à l’autre. En
français, on aurait dit « tendre comme un mouton », « travailleur comme des
fourmis », « muet comme une carpe », « têtu comme un âne ». Une assimilation
très poussée a fait intégrer implicitement les animaux dans certains verbes
français : « Le caractère signifiant l’eau exprime aussi l’idée de Mouton ; or,
le terme correspondant au moutonnement français, pour
indiquer les vagues de la mer, se retrouve dans de nombreuses langues »
(Beigbeder : 4). Il en est de même pour le verbe serpenter qui
indique un mouvement sinueux avec de nombreux tours et détours. Nous n’allons
pas faire l’inventaire de ces expressions, mais seulement donner quelques
exemples représentatifs pour prouver le rôle des animaux dans le
perfectionnement des expressions linguistiques. Le processus consiste à prendre
l’image physique ou caractérielle de l’animal ou une partie du corps animal
pour construire une comparaison (au sens stylistique du terme) afin de
signifier une chose ou une réalité sociale.
En
rhétorique, ces expressions sont des figures de style ou des tropes comme l’on
appelait jadis. Mais en réalité, ce sont des animaux-signes à structure double
: une première structure, linguistique, consiste à donner une unité signifiante
du discours exprimant une idée ; une deuxième structure, sémiologique, vise à
former une nouvelle signification de cette même unité apparemment linguistique.
Si l’on disait « la queue de lapin », la question n’est pas de savoir si la
queue est rouge ou blanche, on saisit seulement l’aspect court de la queue du
lapin pour faire véhiculer l’idée de longueur réduite :
Niveau
linguistique : queue de lapin – organe de l’animal
(dénotation)
Niveau
sémiologique : queue de lapin – affaire de courte durée (connotation)
Le segment « bile de panthère » n’a rien à voir avec
l’anatomie de l’animal. Au niveau linguistique, nous entendons un organe
anatomique de la panthère, mais au niveau sémiologique, le segment sert de
support pour inclure l’idée de témérité, comme le reflète l’énoncé en chinois :
« As-tu mangé de la bile de panthère ? » Car dans la mentalité chinoise, on
croyait que la bile est un organe associé à la qualité de courage. Les
expressions citées au-dessus forment des signes dont le signifiant est
constitué du signe linguistique, c’est au niveau sémiologique qu’elles en
tirent leur signification pleine. Toutefois, les animaux, par certains aspects
de leur corps ou par les qualités qu’ils représentent, servent de référents aux
hommes et aux choses dans le processus de la communication et de la
signification.
Les
animaux-signes et la symbolique populaire
Les
animaux-signes sont nombreux et omniprésents dans toutes les cultures, et en
particulier dans la symbolique populaire. En Chine, le dragon et le phénix sont
synonymes de l’empereur et de l’impératrice bien que ces deux animaux
proviennent de la pure légende. Le lion symbolise la force, l’éléphant la
loyauté, et le pigeon est devenu un signe universel de la paix. La culture
indienne, par exemple, est marquée par le culte du serpent. Chaque année, les
villageois se rendent dans les bois chercher des serpents pour en faire l’objet
de la vénération : plus l’espèce est grande, plus le serpent est venimeux, plus
le bonheur qu’il apporte aux gens est notable. Dans le cas de totems chinois,
les animaux sont considérés soit comme ancêtres d’une ethnie, soit comme
sauveurs d’un peuple, soit comme bienfaiteurs d’une communauté.
Ces
animaux-signes sont souvent groupés en système en vue d’une organisation de la
vie sociale. Les Yi, qui habitent une région reculée du Yunan, gardent encore
un calendrier des animaux : ils comptent les jours par des animaux : si
aujourd’hui est le jour du rat, demain ce sera le jour du bœuf ; le jour du tigre
est destiné au marché, et le jour du cochon sera destiné à un autre marché. Si
les Yi utilise un calendrier des animaux, les Hans ont assimilé les animaux aux
années. On peut encore trouver la trace des totems dans les 12 signes zodiaques
chinois : le rat, le bœuf, le tigre, le lapin, le dragon, le serpent, le
cheval, le mouton, le singe, le coq, le chien et le cochon. Le calendrier
lunaire se basait sur la combinaison des 10 charpentes célestes et 12 piliers
terrestres, ce qui forme 60 variantes correspondantes aux 60 années d’un grand
cycle subdivisé lui-même en 5 petits cycles, chaque petit cycle se compose de
12 animaux et se renouvelle tous les 12 ans. Chaque année est donc associée à
un animal :
Correspondance entre le calendrier lunaire
et le calendrier grégorien
Rat
|
1984
|
1996
|
2008
|
2020
|
Bœuf
|
1985
|
1997
|
2009
|
2021
|
Tigre
|
1986
|
1998
|
2010
|
2022
|
Lapin
|
1987
|
1999
|
2011
|
2023
|
Dragon
|
1988
|
2000
|
2012
|
2024
|
Serpent
|
1989
|
2001
|
2013
|
2025
|
Cheval
|
1990
|
2002
|
2014
|
2026
|
Mouton
|
1991
|
2003
|
2015
|
2027
|
Singe
|
1992
|
2004
|
2016
|
2028
|
Coq
|
1993
|
2005
|
2017
|
2029
|
Chien
|
1994
|
2006
|
2018
|
2030
|
Cochon
|
1995
|
2007
|
2019
|
2031
|
L’état
actuel de la recherche ne peut pas encore expliquer exactement quelle raison
fait que chaque homme doit être assimilé à un animal ni pourquoi l’ordre est
respecté tel qu’il est. Certains chercheurs supposent que ces animaux soient
des formes de vie primitives de l’homme ; d’autres proposent une version
bouddhique : les animaux ne sont qu’une autre forme de vie des êtres humains
dans le cycle de la vie universelle. Selon la conception chinoise, tous les
êtres du monde vivent sous les formes suivantes et observent un cycle comme
suit :
Etre inanimé – esprit – animal – démon – homme –
immortel
Les trois premiers sont des formes de degré inférieur
tandis que les trois derniers des formes de degré supérieur. Toute existence
fait partie de ce cycle et a pour l’objectif de réaliser une ascension dans la
hiérarchie, et le but de la vie humaine consiste à aspirer à l’immortalité.
Celui qui a fait du bien dans cette vie serait récompensé d’un avancement dans
l’autre et vivrait sous une forme d’existence supérieure ; dans le cas
contraire, celui qui a fait du mal serait puni d’une descente dans la
hiérarchie et vivrait sous une forme inférieure. C’est ainsi qu’on peut
lire dans les contes populaires et les légendes des métamorphoses
dans la réincarnation.
Une
autre explication s’avère plus crédible dans la mesure où l’on donne une raison
phénologique : Les hommes primitifs, faute de moyens pour marquer les unités de
temps, ont dû prendre des animaux qu’ils connaissaient pour compter les années
ou même les jours. Ce qui pourrait aussi justifier avec la même logique l’ordre
des animaux dans le temps. Le rat vient en tête dans le cycle, pourtant, on
s’étonnera que ce petit rongeur puisse devancer les autres. En fait, les 12
animaux ont dû être utilisés jadis pour nommer les marques de temps qui
ont été remplacés plus tard par les 12 piliers terrestres, un temps chinois
ayant une durée de 2 heures :
Zi
|
Cou
|
Ying
|
Mao
|
Cheng
|
Si
|
23-1
|
1-3
|
3-5
|
5-7
|
7-9
|
9-11
|
Rat
|
Bœuf
|
Tigre
|
Lapin
|
Dragon
|
Serpent
|
Wu
|
Wei
|
Sheng
|
You
|
Xu
|
Hai
|
11-13
|
13-15
|
15-17
|
17-19
|
19-21
|
21-23
|
Cheval
|
Mouton
|
Singe
|
Coq
|
Chien
|
Cochon
|
Le rat est un animal « noctambule », à minuit, il
trouve son temps préféré ; le bœuf est laborieux et matinal, il se lève très
tôt pour labourer la terre ; le tigre cherche sa proie de bonne heure… Mais le
dragon et le serpent ? L’apparition des animaux dans le temps ne peut justifier
tout à fait l’ordre des animaux-signes du cycle. Ce qu’on pourrait dire, c’est
que les hommes primitifs, par besoin ou par commodité, ont pris ces animaux
pour des marques de temps dans le souci d’organiser la vie sociale. En même
temps, ces signes serviraient à compter l’âge des membres et les distinguer les
uns des autres dans une même communauté. « La science, le savoir est une
organisation et une signification du monde naturel ; les codes sociaux une
organisation et une signification de la société. Les signifiés en sont les
hommes ou les groupes et leurs relations » (Guiraud : 98).
Le
dragon est un animal légendaire en Chine et qui vient en tête des quatre génies
principaux: le dragon, le phénix, le qilin et la tortue. Un dragon résume les
apparences de neuf animaux : bois de cerf, oreilles de bœuf, tête de cheval,
yeux de tortue, corps de serpent, ventre de palourde, écailles de poisson,
pattes de tigre et griffes d’aigle (Yi Siyu : 213). Le culte du dragon en Chine
a pris sa source dans les religions primitives et résulte de l’interaction
entre la vie politique impériale et la culture des religions : d’où la culture
de dragon impériale et la culture de dragon populaire. La culture de dragon
impériale est une divinisation du pouvoir impérial par les lettrés
confucianistes qui prônent l’incarnation du génie dragon par l’empereur, le «
Fils du ciel de vrai dragon ». Dans l’histoire chinoise, Liu Bang était le
premier empereur qui se disait le dragon inviolable et qui se faisait l’objet
de l’obéissance absolue. Il s’ensuit que les noms du calendrier impérial,
l’architecture, la décoration impériale, le vêtement sont tous imprégnés
d’éléments du dragon. Et dans la culture de dragon populaire, cet animal est
considéré comme génie régisseur de l’eau, on le vénère avec des rites
cérémonials dans le but d’invoquer la pluie en cas de sécheresse ; les courses
de bateaux dragon, les danses de lanternes dragon, les activités associées au
génie dragon sont fêtées depuis l’antiquité jusqu’à nos jours (Yi Siyu : 218)
et constituent une culture totémique reconnue par toute la nation chinoise.
De
l’imaginaire à la sublimation littéraire
L’univers
imaginaire s’approprie les animaux pour construire des images symboliques dans
la culture folklorique et dans les œuvres littéraires. « Certains animaux sont
investis de symbolismes de fécondité, l’ours à cause des ses
disparitions périodiques, l’escargot à cause de ses
cornes et de sa coquille spiralée, la grenouille à cause de sa
vie mi-aquatique et mi-terrestre » (Beigbeder : 27). Le serpent et le dragon
sont, dans la plupart des cultures, deux animaux dotés d’une symbolicité
universelle. En Mésopotamie, le serpent est souvent associé à l’idée de cercle
et au monde infernal, et observant le fait que le serpent perdait sa peau au
printemps tel que le phénix semblait renaître des cendres, on lui attribuait
l’idée de l’immortalité. Mais en Chine, dans la région de Yixing du Jiangsu, on
distingue le « serpent de la maison » du serpent sauvage : le serpent de la
maison est un génie protecteur qu’on vénère avec une dévotion fervente, la
moindre mégarde dans la vénération, sans parler de transgression volontaire,
était sujette à amener du malheur au propriétaire. Même dans le cas d’un
serpent sauvage, il était susceptible de devenir un dragon, symbole d’un
bébé-empereur. C’est la raison pour laquelle qu’on lui confère le nom de «
petit dragon ». Il est interdit de tuer un serpent, moins pour raison
écologique que par peur de tuer un jeune dragon. Un conte populaire de la
banlieue de Nanjing reflète une de ces inquiétudes :
Il
était une fois qu’une femme, après dix mois de grossesse, accoucha un serpent.
Prise de frayeur, elle s’évanouit sur place. Le petit serpent était en fait un
jeune dragon, il s’enfuit vers le grand lac tout en tournant vingt-quatre fois
sa tête en guise de gratitude envers sa mère, ainsi créa-t-il une longue rivière
avec vingt-quatre tournants. Son lieu de naissance fut depuis lors appelé «
Butte de dragon ».
Le serpent est donc un animal revêtu de deux aspects :
maléfique et bénéfique. Il pourrait être « le serpent de la beauté », démon
évoqué par Lu Xun dans le Jardin de cent plantes et qui
mangeait des hommes si ceux-ci répondaient à son appel ; il pourrait aussi être
un jeune dragon qui fait naître un nouvel empereur, d’où le symbole équivoque
du serpent en Chine. Quant à la symbolique du serpent en Occident, nous
renvoyons le lecteur à une description succincte de Beigbeder dans sa Symbolique (Beigbeder
: 36-39).
Un
autre animal mérite une attention particulière : c’est le renard. Le Roman
de Renart, familier à tous les francophones, fournit une transposition
exemplaire du monde humain dans le règne animal, avec les personnages
représentatifs du Renart le goupil, Ysengrin le loup, Tibert le chat,
Chanteclerc le coq, etc. Ils prennent leur source d’inspiration à l’image des
sociétés humaines (Ploquin : 8). Dans la culture chinoise, cet animal rusé et
habile, était considéré comme « demi-immortel » doté d’une intelligence
supérieure aux êtres humains et d’une force surnaturelle. Les Contes
fantastiques du Pavillon de Loisir de Pu Songling nous fournissent
bien des exemples, avec des images variées et contrastées de renard-animal et
de renard-homme. Ceci est dû à la conception de la vie des Chinois : tout être
humain, après des années de soins sur le corps et sur l’esprit, pourrait
aspirer à l’immortalité ; les Taoïstes, retirés dans les montagnes et hors de
soucis quotidiens, auraient la chance de devenir immortels. Il en est de même
pour les animaux et les végétaux : un renard, ayant vécu longtemps et soigné
son corps par des entraînements et des régimes, réussiraient à se métamorphoser
en être humain ; et s’il continuait dans ses efforts, il pourrait atteindre
l’état d’immortalité. Dans ces contes, le renard est plus fort que l’homme, il
peut prévoir les choses que l’homme est incapable de voir ; il possède un sens
spécial qui lui permet de prévoir l’avenir, d’éviter le danger et de dépasser
la compétence de l’homme. Il peut déplacer fugitivement les objets, changer les
cailloux en pièces d’or, mettre sur pied une maison ou la faire disparaître,
guérir une maladie incurable, etc. Cette force surnaturelle est en réalité un
reflet de la mentalité populaire : ce dont nous manquons dans la vie réelle,
nous le confions au renard de le récupérer dans l’imaginaire. Le renard est
donc devenu porte-parole de nos désirs et de nos sentiments. Comme tout autre
animal symbole, il est socialisé, personnifié, chargés de traduire l’aspiration
humaine. Cependant, c’est un signe de type esthétique moins codé et sujet à la
polysémie ou à la contradiction : le renard-signifiant pourrait se figurer au
niveau du signifié en une femme enchanteresse, mangeuse d’hommes et trompeuse
ou une femme vertueuse, justicière et généreuse, éprise de bonté et de charité.
C’est donc un signe moins conventionnel qui relève des codes esthétiques.
La
présente approche s’avère bien timide et limitée, mais elle nous permet déjà
d’évaluer l’ampleur de cet univers sémiologique et l’enjeu d’une recherche
approfondie à poursuivre. D’un simple signe aux systèmes complexes, des signes
bien codés aux signes non-conventionnels, du langage quotidien aux images
littéraires en passant par la symbolique populaire, autant de terres vierges à
défricher. Les travaux dans ce domaine aideraient à définir la nature et la
fonction des ces signes dans la création littéraire : signifiants polyvalents
et dynamiques, se situant toujours à plusieurs niveaux différents, les
animaux-signes constituent un registre symbolique, tout comme le mythe, «
renferme le mystère et toutes les puissances du langage… réanime chez les
grands écrivains les archétypes les plus profonds, et par là, permet
d’approcher encore du mystère de la création » (Albouy : 304).
Bibiographie :
Luc Benoist, Singes, symboles et mythes,
PUF “Que sais-je ?”1605, 1985.
Sigmund Freud, Totem et tabou, Version
numérique par J.-M. Tremblay, Québec, 2002.
HE Xingliang, Totemism in Chinese miniroty, Edition
de Diffusion Wuzhou, 2006.
Olivier Beigbeder, La symbolique, PUF “Que
sais-je ?”749, 1981.
Pierre Guiraud, La sémiologie, PUF “Que
sais-je ?”1421, 1983.
Yi Siyu, Les signes chinois, Edition du
Peuple du Jiangsu, 2005.
Françoise Ploquin, Outils de Littérature
française, Qian Peixin, Edition Yiwen, 2002.
Pierre Albouy, Mythes et mythologies dans la
littérature française, Armand Colin, Paris, 1981.
Monsieur ZHANG Xinmu, professeur de l’Université de
Nanjing.
Domaines de recherche : Linguistique, sémiologie et
littérature française.